La collection ADORAS

“Quand la lecture devient passion”

book cover "Cache-cache d'amour"Des titres d’une collection Harlequin dans la bibliothèque de l’ASC ? On n’y songerait tout de même pas... Et pourtant, on trouve bien au catalogue de l’ASC quelque chose qui y ressemble. Les romans sentimentaux de la collection ivoirienne Adoras évoquent fortement les histoires du style “à l’eau de rose” Harlequin. Comment des titres comme “Cœurs rebelles”, “Love story à Abidjan”, “Tu seras mon épouse”, “Juste une illusion”, “La féticheuse”, ou “T’aimer malgré tout” ont-ils pu aboutir dans la bibliothèque d’un institut universitaire ?

Lorsqu’en mai 1998 la maison d’édition spécialiste du livre scolaire Nouvelles Éditions Africaines (NEI) établie à Abidjan en Côte d’Ivoire lance, sur l’idée du directeur général (Guy Lambin) et du responsable du service littérature de la maison (Isaïe Bilton Coulibaly) la collection Adoras, elle répond, pensent les initiateurs qui se fondent sur une étude de marketing, à un besoin du public africain qui jusqu’à présent ne pouvait assouvir sa soif de littérature sentimentale qu’à travers des collections européennes.
La collection Adoras comporte plus d’une cinquante de titres. Chacun a été tiré à hauteur de huit à dix mille exemplaires, ce qui est un tirage important sur le continent. Les livres sont distribués en Afrique de l’Ouest francophone : Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo ; on en trouve aussi au Cameroun, au Tchad, en Guinée, mais aussi au Kenya et aux États-Unis, en France dans les magasins de Présence Africaine et de l’Harmattan, dans certaines librairies non africanistes – et bien sûr sur Internet - . Selon Méliane Kouakou, directrice de la collection Adoras, le prix des livres (1 500 francs CFA) est “inférieur à celui d’un tube de rouge à lèvres”.
Le roman à l’eau de rose est ici, disent les éditeurs, adapté à la demande africaine. Il s’agit d’histoires d’amour - qui se terminent bien -, dans un contexte social familier: pas de chalets dans la neige ni de conversations au coin du feu. On y mange ‘n’dolé accassa, attiéké, riz, bouilli d’igname’ et on y porte par exemple ‘pantalons et chemises inspirés du style asiatique mais faits avec du kita, du bogolan, du pagne baoulé’. Les couvertures “métisses” des livres sont réalisées par le grafiste brésilien Ronaldo Graça (les feuilletons brésiliens font fureur à la télévision ivoirienne).
Pour Méliane Kouakou, les lectrices “reconnaissent des quartiers, des magasins… des lieux qu’elles fréquentent quotidiennement”; elles “doivent retrouver des valeurs et des interdits imposés par leur société et leur religion”, et les craintes et les rêves suscités par leur vie aujourd’hui. Outre faire rêver, la collection entend avoir aussi un rôle pédagogique sur fond de romance, en sensibilisant son public sur des problèmes de la société contemporaine (polygamie, mariages forcés, prostitution en milieu scolaire, excision, domination masculine, sida, etc). Il faut ajouter que les auteurs écrivent sous un pseudonyme.

Certains romans ont donné lieu à des adaptations pour des téléfilms (“Cache-cache d’amour”, 2001) et des long-métrages (“Le pari de l’amour”, 2003 - disponible en DVD à l’ASC) qui ont battu des records d’audience (100 millions de téléspectateurs en un an en Afrique francophone) et ont suscité l’attention de journalistes en Afrique, en France, aux États-Unis, de par l’image “heureuse” de l’Afrique que rendaient les films.

En dehors de Lydie Moudileno (Université de Pennsylvanie), qui s’est aussi attachée à son aspect littéraire, la collection Adoras n’a pas vraiment fait l’objet d’une analyse sociologique. Moudileno se réfère à la théorie du centre et de la périphérie et met l’accent sur le “trouble” que suscite la popularité d’un genre qui se situe au bas de l’échelle de la production culturelle. Pour elle, ce “Harlequin africain” pourrait faire revenir le spectre de l’aliénation, familier dans la théorie postcoloniale. Le genre de la romance dans la littérature moderne repose sur une formule qui combine des schémas, des ingrédients et des acteurs prévisibles.
L’africanisation de la romance, écrit-elle, se produit par l’intermédiaire d’une série de variations qui fonctionnent non pas au niveau de la structure, mais à celui du paradigme. “Les variations ne concernent pas les actions des personnages, mais leur situation : le contexte spatio-temporel, la caractérisation et l’environnement socio-culturel… Un des défis du roman sentimental africain consiste à non seulement proposer une utopie, mais une utopie africaine, c’est à dire, simultanément inspirée et déconnectée d’un réel posé comme ‘africain’”.

Marie-Agnès Thirard rapproche, elle, la collection Adoras du “Cabinet des fées” (18ème siècle français). Dans le schéma des romans précieux, “x aime y qui ne l’aime pas mais aime z qui à son tour aime x”. Pour elle, les romans Adoras sont des “contes de fées à l’africaine”. “Il n’est donc pas étonnant que les princes et les princesses soient devenus des cadres commerciaux, des ingénieurs, des chefs d’entreprise ou de brillants journalistes au fil d’une métamorphose des personnages liée à un ancrage sociologique différent”. L’héroïne du roman Adoras “La Saint-Louisienne” de Mariama Ndoye est une “réplique de Cendrillon made in Africa”.

Alors, simple littérature d’évasion, symptôme, phénomène sociologique, incitation à lire plus encore ?

Quoi qu’il en soit, le slogan de la collection Adoras est “Quand la lecture devient passion”.

Titres de la collection Adoras disponibles à la bibliothèque de l’ASC:

Cœurs rebelles (Joëlle ANSKEY) [Lit. 8014]

Juste une illusion (TRA Léa Edwige) [Lit. 8350]

Tendres confidences (T.S. N’Guetta) [Lit.. 8664]

Love Story à Abidjan (Narcisse ASSALEY) [Lit. 8665]

T’aimer malgré tout (Koimey & Adjouha ANGLA) [Lit. 8666]

La féticheuse (MEESHA) [Lit. 8667]

Cache-cache d’amour (KONÉ Fibla) [Lit. 8668]

Folie d’une nuit (KONÉ Fibla) [Lit.8669]

Tu seras mon épouse (B. WILLIAMS) [Lit. 8670]

DVD : Le pari de l’amour (Betting on love) (réal. Didier M. Aufort) [AFRIKA AVM758)

Site des Nouvelles Éditions Africaines : http://nena-sen.com/

Études

♦ Martine Ducoulombier
“La comédie romantique : un genre mal-aimé ?”
Africultures, no. 63, avril-juin 2005, pp. 43-45

♦ Lydie Moudileno
“L’invention du romantique : la littérature rose révolutionne l’édition africaine”. Africultures, no. 63, avril-juin 2005, pp. 37-42
“The Troubling Popularity of West African Romance Novels”, in Research in African Literatures, vol. 39, No.4 (Winter 2008), pp. 120-132
“Pas de romance sans finance : la construction du couple moderne dans les romans sentimentaux de l’Afrique de l’Ouest”, in The Journal of Twentieth-Century/Contemporary French Francophone Studies, revue d’études françaises, 6:1, pp. 67-77. En ligne le 29 oct. 2010: http://dx.doi.org/10.1080/10260210290021789

♦ Marie-Agnès Thirard
“Les romans ‘Adoras’ ou les nouveaux contes de fées à l’africaine”, in : Jean Perrot (dir.) Les métamorphoses du conte, Bruxelles, Munich, New York, ed. Peter Lang (2004)

Articles de presse
http://www.afrik.com/article4629.html
http://aflit.arts.uwa.edu.au/AMINAadoras2006.html

Michèle Boin
Avril 2012